Tango avec l’Ankou / Jean Kergrist

Il est assez rare d’écrire un texte (volontairement) posthume, à part un testament. Il est aussi rare de lire un livre dont on connaît la fin alors que l’auteur ne la connaît pas. Jean Kergrist, se sachant atteint d’une longue maladie dont on ne peut pas dire le nom, a osé. On n’en dit pas le nom, mais lui, l’auteur condamné, n’hésite pas à donner tous les noms des choses, à décrire les faits, les circonstances, à nommer les gens. Il nous fait partager ses affres et ses sentiments avec des détails croustillants, euh non, éprouvants. Il a su garder (s’efforçait-il ?) toute la verve qu’on lui connaît, l’humour, la critique acerbe des profiteurs et autres pollueurs. Cette attitude, non dénuée de cynisme, n’arrive pas à nous cacher ses doutes, ses angoisses, ses souffrances, bien qu’il la joue « Je me prépare au mieux à ma fin, même pas peur ». Pendant ces deux dernières années, on suit ses préparatifs, et ça bouleverse. On le voit également décrire des moments hors-maladie, spectacles, discours, tournages de films, relations presse, vie avec sa Mado. Le chapitre 13, Vers la succession, n’est plus teinté d’humour, et nous touche fort.

Lire ce livre pendant le confinement viral fait un drôle d’effet parallèle. Drôle n’est pas le bon qualificatif, les circonstances ne l’étant pas, ni celles de Jean ni les nôtres. Vais-je moi aussi être atteint d’un mal fatal ? Dois-je aussi me préparer, faire le ménage, ranger, faire le point ? Je contemple aussi mon passé et n’arrive plus à imaginer mon avenir. Je pense que Jean Kergrist aurait été intéressé à vivre la période que nous vivons, période peut-être aussi spectaculaire que le passage de la fin de l’empire romain au Moyen Age, ou le passage à la Renaissance, ou la Révolution française, ou les 30 Glorieuses post-conflit planétaire. Vivre un tournant de l’Histoire est spectaculaire mais certainement pas facile. Vivre sa fin de vie, c’est pareil.
[Editions des Montagnes Noires]

Un autre livre posthume de Jean Kergrist vient de sortir : Guide secret des Monts d’Arrée, aux Editions Ouest-France.

Jean Kergrist, décédé le 14 novembre 2019, avait tout prévu dès 2017.